Garde alternée – Que disent les juges ?

Parents en conflit assis dos à dos
Les différents critères de décision pour la garde alternée selon les juges sur le territoire national

L’histoire

Lucie et Julien se sont rencontrés dans les escaliers de leur immeuble. Les premiers bonsoirs, les échanges sur les containers de recyclage manquants dans le local à poubelles passés, bref, les multiples sorties nocturnes de leurs ordures ménagères, ont fini par les convaincre qu’ils se plaisaient vraiment. Julien a été le plus téméraire en proposant, en tout honneur, de continuer la révolte des locataires sur la gestion des ordures, autour d’un verre dans son appartement. Quelques idées de pétitions plus tard, leurs conversations se sont orientées inévitablement vers la découverte de l’autre.

Lucie est infirmière depuis deux ans, tandis que Julien est musicien amateur et tente de trouver un contrat de production pour atteindre le statut tant attendu de musicien professionnel. Lucie est fille unique et a été élevée seule par sa mère ; son père ayant fait le choix de prendre la poudre d’escampette avec une femme beaucoup plus jeune que sa mère. Julien, quant à lui, est issu d’une famille nombreuse de 5 enfants, modeste et sans histoires, cadrée par un père exigeant et autoritaire.

Coin lecture en rapport avec l’article

D’invitations en invitations, le charme opérant les conduisit inexorablement vers une folle passion amoureuse. S’écoulèrent, ainsi, sous le même toit (Julien ayant finalement abandonné son appartement au profit de celui de Lucie), trois douces années de bonheur idyllique, avec pour apothéose l’arrivée de leur petite fille, Zoé. Mais cette arrivée a bouleversé, petit à petit, ce bonheur ambiant et laissé place à des tensions de plus en plus conflictuelles, les conduisant fatalement à la séparation. Zoé n’a alors que deux ans. Commence dès lors, une bataille pour la garde de Zoé. Julien souhaite une résidence alternée. Lucie s’y oppose fermement considérant qu’il est incapable de s’occuper seul de sa fille. Julien menace alors Lucie de l’assigner au tribunal pour faire valoir son droit. Lucie, forte de son statut de mère, lui rétorque qu’aucun juge n’acceptera d’enlever une enfant de deux ans à sa mère et encore moins d’accorder la résidence alternée.

Mais qu’en est-il réellement ?

Les juges aux affaires familiales accordent-ils systématiquement la résidence principale des enfants aux mères, d’autant plus quand les enfants sont en bas âge ? En cas de désaccord entre les parents, donnent-ils la priorité à un temps parental partagé ? Et pour ajuster leurs décisions en la matière, quels sont les critères qui penchent vers une autorisation ou un refus d’accord de résidence alternée ? Les positions des juges sur ce sujet sont-elles les mêmes d’une juridiction à l’autre ? Une étude récemment publiée dans la revue AJ famille a présenté un échantillon de cette réalité en questionnant une quinzaine de magistrats sur l’ensemble du territoire national et portant, entre autres, sur ces deux dimensions :

  • Le contrôle pour mesurer si la résidence alternée est un meilleur système pour l’enfant qu’un autre mode de résidence,
  • L’organisation concrète de la résidence alternée.

Petit détour par l’autorité parentale

Avant d’aller plus loin, il convient de faire un petit détour par l’aspect législatif qui encadre l’ensemble des droits et des devoirs que confère le statut parental. La loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 a réformé l’autorité parentale avec comme finalité que l’intérêt de l’enfant en soit le fondement. Ce point est particulièrement sensible en cas de séparation parentale. La loi rappelle que cette situation n’enlève pas l’obligation aux parents de maintenir des relations personnelles avec leur enfant.

En ce qui concerne la garde alternée, le législateur a considéré que ce mode de résidence est, je cite : « l’application concrète du principe de coparentalité », ou même encore, « l’application pratique du principe d’exercice conjoint de l’autorité parentale ». Autrement dit, la résidence alternée doit être privilégiée. Pour autant, les derniers chiffres connus (INSEE 2020) montrent que seulement 12% des enfants de parents séparés étaient en garde alternée. Lorsque les parents sont en désaccord sur le choix du mode de résidence de leur enfant, on relève une moyenne de 40-50 % de garde alternée prononcée par l’ensemble des juges aux affaires familiales. Mais en regardant plus en détail, l’on s’aperçoit que les chiffres sont sensiblement différents d’un tribunal à l’autre (25% pour le TJ de Metz, 80% pour le TJ de Guéret et d’Evry).

Ces chiffres démontrent que la question de l’intérêt de l’enfant est étudiée au cas par cas, mais si l’ensemble des magistrats s’accordent sur ce point, leurs approches pour l’apprécier diffèrent d’un juge à l’autre.

Les différentes critères et approches des juges de la garde alternée

Nombre de magistrats considèrent que la garde alternée favorise le maintien et le développement de relations harmonieuses de l’enfant avec chacun de ses deux parents. De leurs points de vue, ce système présente l’avantage de permettre à l’enfant de prendre appui, de manière équilibrée sur chacun des parents et de se construire ainsi au travers de leurs apports respectifs. D’autre part, le fait d’être élevé par les deux parents et d’entretenir des relations personnelles avec chacun d’entre eux, permet à l’enfant de préserver son équilibre affectif. Une égale présence des parents a une influence bénéfique sur l’évolution de l’enfant.

Pour autant, certains magistrats remettent en question le caractère bénéfique de la résidence alternée. La différence importante du mode d’éducation d’un parent à l’autre, d’un domicile à l’autre, peut créer, par exemple, de véritables pertes de repères pour l’enfant. Cette discontinuité peut être de nature à perturber l’équilibre psychique de l’enfant et ne pas répondre à son besoin de stabilité et de continuité. L’on observe que les magistrats opèrent, en quelque sorte, une analyse « bénéfices- risques » pour favoriser ou non la résidence alternée afin de préserver l’intérêt de l’enfant. Pour ce faire, ils peuvent s’appuyer sur différents critères :

  • l’âge de l’enfant ;
  • la distance entre les domiciles parentaux et/ou de l’établissement scolaire) ;
  • l’opposition de l enfant ;
  • le conflit entre les parents ;
  • la capacités d’accueil insuffisantes du demandeur ;
  • le manque de disponibilité du parent demandeur ;

Différentes manières d’apprécier certains critères

L’étude révèle que les critères les plus couramment utilisés sont l’âge de l’enfant et
la distance géographique entre les domiciles des parents. Mais, s’il existe un consensus
sur le critère de la distance géographique, le critère de l’âge de l’enfant, pose débat
entre les magistrats et n’est pas apprécié de manière uniforme d’un tribunal à l’autre.
Les critères de l’opposition de l’enfant et du conflit entre les parents sont, là encore,
appréciés de manières différentes.

Pour certains juges, l’opposition des enfants fait totalement obstacle à la mise en place de la garde alternée. Pour d’autres, elle peut être considérée comme étant l’expression de pressions parentales subies par l’enfant. En ce qui concerne les mauvaises relations entre parents, certains
considèrent qu’elles peuvent être une entrave à l’organisation pratique commune que
nécessite la mise en œuvre de la résidence alternée et d’autres qu’elles ne peuvent
être un argument pour la refuser. En effet, certains magistrats peuvent s’interroger
sur la motivation de certains parents à faire vivre le conflit pour faire échec à la
résidence alternée.

Différentes manières d’organiser la garde alternée

Le législateur a permis d’apporter une certaine souplesse dans la mise en œuvre de la résidence alternée. Ainsi, le partage du temps parental dans ce mode de résidence peut être différent. Les magistrats sont unanimes pour s’accorder que jusqu’à 60/40%, l’on parle de garde alternée. Au-delà (65/35, 70/30…), le terme retenu est le droit de visite et d’hébergement élargi.

Le plus souvent, en cas de désaccord des parents, les juges ordonnent une résidence alternée 1 semaine/1 semaine. Mais quelques différences peuvent apparaître lorsque l’enfant ne peut être séparé trop longtemps de chacun des parents. Une alternance dite « courte », c’est- à-dire en demi-semaine, peut être ordonnée. Cette organisation peut être considérée par les magistrats comme étant un mode de transition douce, notamment pour les enfants en bas âge. Par ailleurs, en cas de demande des deux parents, certains juges accordent un rythme de 2 semaines/2 semaines, présentant ainsi l’avantage de permettre à l’enfant de se poser plus sereinement dans chacune de ses maisons. Dans ce cadre souple, les juges aux affaires familiales peuvent également ordonner, à titre provisoire, la garde alternée, afin d’en apprécier et évaluer ses conséquences, en cas de désaccord des parents.

Là encore apparaissent de grandes différences de pratique entre les juges. Cette option peut être fréquemment, rarement ou jamais utilisée ! Certains juges considèrent que ce mode permet aux parents de passer parfois le cap de la résistance ou d’éprouver la réalité d’une telle pratique, pour d’autres de couper court à un conflit de légitimité parentale. Enfin, la loi donne également la possibilité d’ordonner la résidence alternée à effet différé. L’étude fait état, encore une fois, d’une grande disparité de pratique en la matière, où arguments s’opposent. Certains magistrats estiment qu’il est impossible de prévoir l’évolution de la situation familiale, et d’autres que cette formule permet, au contraire, de donner à chaque parent une place progressive et adaptée à l’âge et aux besoins de l’enfant.

Coin lecture en rapport avec l’article

Epilogue

Vous l’aurez compris, Lucie et Julien se trouvent à la croisée d’un chemin qui les
mène vers deux directions possibles. Celle de dépasser et mettre à distance leur
déchirure sentimentale afin de préserver l’objet de cet amour éteint ; la petite Zoé.
Leur permettre d’apprendre à nouveau à se faire confiance et construire une relation
parentale apaisée afin de les éclairer sur ce qu’il convient de mieux pour Zoé, ou
laisser le magistrat décider à leur place… sans aucune certitude de l’appréciation
qu’il en fera…

Sources – AJ Famille – 07/2021 – Résidence alternée et intérêt de l’enfant – regards croisés des magistrats

0 Shares:
Vous pourriez aussi aimer