Je suis la belle-mère de cet enfant

femme qui fait du jogging
Questionnement autour de la place et du rôle de la belle-mère dans un quotidien avec l’enfant de son compagnon

L’histoire

Rachel, une femme de 40 ans, sans enfants, tombe amoureuse d’Ali. Il est le père d’une petite fille de 4 ans, Leïla. Enthousiaste à l’idée de rencontrer cette petite fille, elle est immédiatement conquise. La rencontre avec la maman de Leïla, Alice, n’est pas conflictuelle. Ali, quant à lui, n’est pas partagé entre ses responsabilités de père et d’amant. Ce contexte permet à Rachel de se laisser aller à endosser un nouveau rôle : celui d’une belle-mère attachée à cet enfant. Son quotidien se trouve bouleversé et elle doit apprendre à revêtir de nouvelles responsabilités. Toutefois, la pression qu’elle ressent est double. Elle est habitée par la peur de commettre une erreur avec Leila et perdre ainsi l’amour d’Ali. Une situation qui pourrait les mener vers la rupture et couper inévitablement le lien avec Leïla. 

C’est l’histoire du film « Les enfants des autres », réalisé par Rebecca Zlotowski et qui nous présente son film ainsi : « La belle-mère est traditionnellement un personnage secondaire, parfois juste une figurante, qui doit s’effacer lorsque l’histoire d’amour se termine. Pourquoi est-ce que cette femme, qui vit une expérience commune -une que j’ai moi-même vécue- n’a jamais été une héroïne de cinéma ?  Avec « Les enfants des autres », je voulais simplement faire le film que j’avais besoin de voir, en pensant que peut-être d’autres auraient besoin de le voir aussi ». (Propos de Rebecca Zlotowski)

Quelques chiffres

Les derniers chiffres 2019 de l’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) nous révèlent que près de 800 000 beaux-parents habitent avec les enfants de leur conjoint. Ce sont 27 % de belles-mères et 73 % de beaux-pères. Quatre beaux-parents sur dix vivent exclusivement avec les enfants de leur conjoint, sans autre enfant présent au domicile. Six beaux-parents sur dix vivent avec leurs propres enfants et leurs beaux-enfants. 

Même si le pourcentage du nombre des beaux-pères est plus important, ce film est l’occasion de s’interroger sur le rôle de la belle-mère dans la famille recomposée. En effet, il semble que ce rôle soit plus complexe à vivre. Les relations vécues par une femme et les enfants de son conjoint ne sont pas les mêmes que celles vécues entre un homme et les enfants de sa conjointe. Un beau-père aurait plus facilement un rôle de soutien discret tandis qu’une belle-mère serait plus souvent sollicitée pour s’occuper des enfants, faisant appel à un dévouement typique des mères.

Belle-mère : un rôle si bien défini ?

Sur ce sujet, de nombreuses questions s’invitent. Le fait de vivre une relation avec un homme ayant des enfants impose-t-il pour cette dernière de les prendre en charge et de les éduquer ? Peut-elle simplement se contenter d’être la compagne du père, le laissant exclusivement partager son rôle parental avec la mère ? Doit-elle au contraire, soutenir ce compagnon dans cette fonction parentale en exerçant cette co-responsabilité ? Cet investissement est-il toujours bien perçu par les enfants eux-mêmes ? Et qu’en est-il de la relation belle-mère/mère ? 

Petit point sur l’évolution du rôle de la belle-mère

Avant l’institution du divorce par consentement mutuel en 1975, les situations de recompositions familiales se produisaient après un veuvage ou un divorce pour faute à l’avantage de Monsieur, à qui l’on confiait, bien évidemment, la charge des enfants. La belle-mère remplaçait, à cette occasion, la mère coupable et éloignée de ses enfants. Aujourd’hui, les décès sont moins de mise et les recompositions familiales sont surtout le fait de la séparation des parents. Par ailleurs, la notion juridique de « l’intérêt de l’enfant » incarnée par le maintien des liens parents/enfants et l’exercice de la coparentalité s’est imposée. De plus, la loi 2002 a promu le mode de résidence alternée comme étant la meilleure expression de cette coparentalité. Cette évolution a conduit à augmenter l’importance des belles-mères.

Malgré le changement de statut des femmes et l’évolution des pères, la résidence principale des enfants est majoritairement demandée par les mères. Les conjointes des pères ayant obtenu la garde principale des enfants, ne jouent plus désormais un rôle maternel de substitution. Pour autant, l’injonction paradoxale leur est faite de ne pas se prendre pour la mère tout en assumant des fonctions maternelles traditionnelles. La répartition des tâches, selon le genre, encore vivace socialement, conduit naturellement à ce que les belles-mères s’occupent de la maison et des enfants. Cet état de fait a souvent pour conséquence de diminuer leur engagement professionnel et de les rendre potentiellement plus dépendantes du revenu du conjoint. 

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Mères et belles-mères

Concernant les relations mères/belles-mères, l’exemple du film « Les enfants des autres », ne semble pas être la norme. En effet, les mères, dans leur grande majorité, ont beaucoup de difficultés à accepter que les belles-mères endossent leur rôle auprès de leurs enfants. Rencontrer les professeurs et donner son avis sur l’orientation scolaire de l’enfant, acheter des vêtements, amener l’enfant chez le coiffeur, sont très souvent des rôles revendiqués par les mères. Le suivi médical des enfants est également revendiqué comme étant de la responsabilité exclusive des mères et le carnet de santé est difficilement confié. Lorsque les pères conservent une certaine intimité avec les mères de leurs enfants, les belles-mères peuvent se sentir exclues de cette coparentalité. Par ailleurs, cette omniprésence des mères peut être vécue comme une intrusion dans le couple conjugal.

Beaux-enfants/belles-mères

Ces relations diffèrent selon le degré d’investissement des belles-mères, la nature de leur relation avec leurs beaux-enfants, la sollicitation des pères sur le plan parental. Certaines femmes restent discrètes et s’effacent lorsque les pères reçoivent leurs enfants. Ces derniers peuvent alors apprécier d’avoir leur père pour eux seuls. Lorsque les pères expriment le besoin d’être épaulés sur le plan parental, elles peuvent s’impliquer plus profondément et prendre plus d’importance auprès des enfants. Ce rôle peut, pour autant être refusé par les enfants qui parfois ont des difficultés à accepter la présence et la place affective des belles-mères dans le cœur de leurs pères. Un sentiment de jalousie se fait sentir. De la même manière, ces belles-mères peuvent avoir des difficultés à supporter le caractère fusionnel que vivent certains pères avec leurs enfants.

Plusieurs éléments peuvent être source de tensions sur le plan relationnel. Le fait d’imposer des règles est un exemple, notamment lorsque les enfants sont adolescents. L’impartialité des belles-mères est également mise à l’épreuve entre leurs propres enfants et leurs beaux-enfants. Ces derniers peuvent vivre comme une injustice la différence de traitement entre eux et les enfants de leur belle-mère. Le partage d’un même espace est parfois délicat en raison du désir d’une maison harmonieuse et ordonnée d’une maîtresse de maison auquel se heurtent le sans-gêne et le désordre des beaux-enfants. La critique sur la qualité de la nourriture achetée et cuisinée par les belles-mères est omniprésente et régulièrement comparée à celle proposée par les mères des enfants. Mères, qui bien évidemment tiennent compte de leurs goûts ! Les belles-mères s’en retrouvent inévitablement perdantes face à cette concurrence avec les mères.

Conclusion

Le film de Rebecca Zlotowski est une bouffée d’oxygène, car il nous immerge, avec beaucoup de délicatesse, dans l’idée qu’être belle-mère n’est pas forcément synonyme d’affrontements et de rivalités. Il montre qu’être belle-mère des enfants des autres, réveille des questionnements intimes sur le rapport à la parentalité. L’échange, le partage de ces questionnements entre belles-mères et parents biologiques sont source de richesses pour accompagner au mieux ces enfants aux foyers multiples, aux figures de référence diverses. Gageons ainsi que leur construction (la leur, celle qui est propre à chacun) d’adultes en devenir s’en porteront mieux, car leurs belles-mères « ne comptent pas pour du beurre ! ».

Sources : « Les belles-mères, entre idéal de coparentalité et asymétrie homme/femme », Sylvie Cadolle.

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