Maman poste des photos de moi sur les réseaux sociaux

ado sur son portable
Le terme de sharenting expliqué, les risques, la protection des mineurs, des pistes pour lutter contre cette pratique parentale

L’histoire

Je m’appelle Romain, j’ai 12 ans. Je suis rentré au collège cette année avec mon copain Louis. Je suis content parce qu’on se connaît depuis la maternelle et on se retrouve encore dans la même école, je ne suis pas tout seul. Louis et moi, on est pareils. On est tous les deux fils uniques et nos parents sont séparés. Depuis que nous sommes au collège, on s’est fait plein de copains et copines, et ils ont tous un compte Facebook ou un compte Tik Tok. Moi, j’aimerais bien avoir mes propres comptes pour créer des contenus et partager avec le plus d’amis possibles. Maman, elle est d’accord, d’ailleurs, elle a un compte Facebook et Instagram et elle n’hésite pas à mettre des photos ou des vidéos de moi sur ses réseaux. Même mon nouveau beau-père, il le fait ! Papa, lui, il bloque. Il n’est pas d’accord, il dit que je suis trop jeune et que je n’ai pas à apparaître sur les réseaux sociaux. Il dit que son rôle, c’est de protéger mon image et que je serai bien content plus tard de ne pas retrouver des photos ou vidéos de moi dans des situations plus ou moins à mon avantage. 

Moi, je ne comprends pas. Les parents de Louis sont d’accord pour qu’il ait ses propres comptes. Il peut partager plein de photos avec les copains. Il a plein d’amis, plus de 230, de toute la France, du monde entier ! Il va finir par devenir célèbre ! Papa, il est un peu ringard, « has been » comme on dit, il n’y connaît rien et ne comprend pas que c’est de cette manière que l’on se fait des amis aujourd’hui. Entre maman et lui, c’est un peu chaud ! Il menace maman de l’envoyer au juge si elle continue de diffuser des photos et vidéos de moi. Surtout, depuis qu’il est tombé sur sa dernière vidéo postée où l’on me voit vomir toutes mes tripes sur un bateau, car j’avais le mal de mer. Je crois que sur ce coup-là, mon père a raison, je ne suis pas trop à mon avantage et je n’ai pas très envie que mes copains tombent dessus !

Réseaux sociaux et sharenting

L’histoire de Louis est des plus banales. L’explosion des réseaux sociaux a vu croître le nombre de comptes Facebook, Instagram, Tik Tok et autres appellations sur la nébuleuse toile internet. Quel parent a pu résister à l’appel du partage du premier pas de son enfant, quel enfant à la participation à l’un des nouveaux challenges de danse sur Tik Tok ? La génération « digital native », c’est-à-dire celle qui a grandi avec les outils numériques, immortalise, les petits riens du quotidien, les grandes étapes de vie, sur les réseaux sociaux. La maman de Louis ne fait pas exception. Cette pratique parentale, de plus en plus courante, qui consiste à partager des contenus relatifs aux enfants est désignée couramment sous le terme de « sharenting ». Elle a pour conséquence éventuelle de porter atteinte aux droits à la vie privée des mineurs qui ne disposent pas de la capacité juridique pour défendre leur image. Partager photos, vidéos et informations multiples par des parents fiers de leur descendance auprès du cercle amical et familial, est une chose, l’étendre sur la toile en est une autre. Les caractéristiques de ce nouvel environnement se définissent par le nombre de « followers », dont on ne maîtrise pas toujours les origines et les intentions, et l’accès permanent, et sans limite de temps, à l’information transmise. Nous sommes bien loin de la soirée entre intimes où l’on montre avec joie les dernières photos des vacances ! 

Risques associés au sharenting

Cette pratique parentale peut se vivre de la manière la plus innocente qui soit, elle peut pour autant se révéler bien des années plus tard comme un cataclysme pour la vie de la progéniture tant chérie : du harcèlement scolaire fait de moquerie et dévalorisation, un refus d’admission dans une école, voire de signature de contrat de travail dans une entreprise. Les effets peuvent être multiples et s’inscrivent dans la durée. L’illusion d’un sentiment d’intimité que procure le téléphone portable ou l’ordinateur, empêche la prise de conscience des parents du danger potentiel. Cette présence numérique imposée par le sharenting laisse des traces ineffaçables sans que le mineur ne puisse en retirer quelconque bénéfice et s’y opposer véritablement. Pour autant, certaines voix s’élèvent dans le monde et commencent à réagir. Pour exemple ce jeune garçon canadien, âgé de 13 ans, qui a engagé une action en justice à l’encontre de ses parents pour avoir posté tout au long de son enfance des photos de lui qu’il jugeait embarrassantes ou cette jeune femme autrichienne de 18 ans qui a porté plainte contre ses parents pour publication de photos d’enfance sans son consentement.

La protection limitée du mineur face au sharenting

En France, le mineur, bien que reconnu en tant que personnalité juridique, est juridiquement incapable d’initier une procédure, un procès, une procédure judiciaire. Il doit être représenté par ses représentants légaux (généralement ses parents) pour défendre ses droits, notamment son droit à la vie privée, à la protection de son image. Mais dans le cas du sharenting, c’est précisément le parent qui malmène le droit de l’enfant. Il est à préciser que la divulgation et l’exposition d’éléments concernant la vie privée sans avoir le consentement de la personne concernée relève de l’article 9 du code civil et qui précise : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent sans préjudice de la réparation du dommage subi prescrire toutes mesures telles que séquestres, saisies et autres, propres à empêcher ou à faire cesser une atteinte à la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ». L’objet de cet article est de protéger la personne titulaire des droits contre les attaques extérieures et non de celles venant de l’intérieur. Pour le mineur, il s’agit de celles venant de ses représentants légaux, détenteurs de l’autorité parentale.

 
Autorité parentale et sharenting

L’autorité parentale définie à l’article 371-1 du code civil, est un ensemble de droits et de devoirs qui a pour objectif l’intérêt de l’enfant. Cette mission s’exerce par les parents jusqu’à la majorité de l’enfant ou son émancipation, pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Seuls les parents ont le pouvoir d’autoriser la publication de photos, vidéos ou informations d’ordre privé ou intime concernant leur enfant. Il en est de même pour l’autorisation de s’inscrire sur les réseaux sociaux et avoir ses propres comptes. Dans le cas d’un partage de l’autorité parentale, il semble que l’accord d’un seul parent ne soit pas, à priori, suffisant. Plusieurs jugements de tribunaux vont dans ce sens. Le père de Romain, qui peine à se faire entendre, pourrait saisir le Juge aux affaires familiales pour statuer sur le litige qui l’oppose à la mère de Romain. Prenons pour exemple un arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 16 mai 2013. Le juge a considéré que la mère d’un enfant de 10 ans, en lui créant un compte Facebook et en diffusant des photos de lui sur ce même réseau, le mettait en danger. D’autres jugements ont ordonné, sur le fondement du caractère conjoint de l’autorité parentale et du devoir de protection de l’enfant, d’une interdiction de diffusion de photos et vidéos sur les réseaux sociaux, d’une astreinte financière par infraction constatée ou tout simplement de la suppression d’un compte ouvert.

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Quelques pistes pour lutter contre le Sharenting

  • Individualisation des droits du mineur.

Il conviendrait de réfléchir pour autoriser l’enfant à saisir seul les tribunaux lorsque ses parents ou représentants légaux sont en cause. Cette option serait centrée sur l’intérêt de l’enfant. En mettant en place des sanctions proportionnées, comme des injonctions ou astreintes financières, le mineur pourrait ainsi se prémunir de l’immaturité ou des besoins éventuels de reconnaissance sociale de ses parents sur les réseaux sociaux. Se poserait alors la question de l’âge à partir duquel l’enfant pourrait agir seul : serait-ce 10, 12, 14 ou 16 ans ?… 

  • Médiateur pour recueillir la plainte du mineur

Au-delà des conflits liés aux séparations parentales, la mission du médiateur pourrait s’orienter sur le recueil de la parole de l’enfant et la relayer auprès des parents, tout en rappelant les sanctions éventuelles dont ils pourraient faire l’objet si leur agissement perdure.

  • Prise de conscience politique

Plusieurs députés ont d’ores et déjà sollicité le gouvernement pour réfléchir sur des mesures éducatives ou punitives pour des parents concernés par le sharenting. La sénatrice de Paris, Mme Céline Boulay-Espéronnier, a quant à elle fait une proposition dont l’objet serait de créer une infraction spécifique pour les parents portant gravement atteinte à la vie privée de leur enfant.

  • Application de sanctions mesurées

A l’instar de mesures d’assistance éducative, voire de poursuites pénales, dans le cadre de diffusion de photos sexualisées ou violentes, il s’agit là de réfléchir à des sanctions qui prennent en compte la simple volonté de partage ou l’expression d’une fierté parentale, mais qui portent néanmoins la conséquence éventuelle d’un préjudice pour l’enfant. 

  • Astreinte financière

Déjà ordonnée par nombre de juges, il conviendrait de développer plus massivement le système d’astreinte pour appuyer la demande d’un parent séparé de la fermeture d’un compte ou l’interdiction de diffusion d’images. Cette sanction pourrait être ordonnée par un juge à la demande de l’enfant lui-même.

  • Prévention 

Afin de responsabiliser les parents, quelques pistes ont été testées comme la tentative d’établir un guide d’usage des réseaux sociaux en direction des parents (Stacey Steinberg, Floride). Ce guide a pour objet de les familiariser avec :

  • les conditions générales des sites,  
  • la configuration de notification pour les alerter lorsque le nom de leur enfant apparaît,
  • l’opposition à toutes indications de localisation de celui-ci, 
  • l’information et le droit de véto pour s’opposer à une diffusion,
  • l’autocensure pour la diffusion d’images dénudées,
  • réflexion parentale en ce qui concerne les effets à long terme du sharenting sur le développement de l’enfant.
  • Responsabilité des plateformes

Certaines plateformes, comme Facebook, se sont déjà mobilisées pour encourager les parents à transmettre de l’information sur les pratiques de sécurité sur internet, de mettre en place des contrôles parentaux, de limiter la réception des messages aux amis connus.

Conclusion

Notre quotidien est aujourd’hui envahi par les smartphones, tablettes et ordinateurs multiples. Nous sommes tous connectés et rares sont les personnes qui ne possèdent pas de compte sur les réseaux sociaux. Les jeunes générations ne font pas exception. Nous retrouvons, dès l’âge de 12 ans près de 87 % possédant un smartphone. Cela favorise bien évidemment l’accès aux réseaux sociaux (1). Pour les jeunes filles qui se situent dans la tranche d’âge 11-14 ans, 74% d’entre elles possèdent au moins un compte sur les réseaux sociaux contre 69% des garçons (2). Mais les parents ne sont pas en reste. C’est environ un parent sur cinq qui diffuse photos et vidéos de sa progéniture sans son accord et ce malgré le danger que cela peut potentiellement générer pour l’enfant. Le père de Romain est bien sage de questionner sa responsabilité parentale sur ce sujet. Il est à espérer qu’un échange constructif avec la maman de Romain, les pousse à préserver leur enfant de cette forêt pleine de loups et d’embûches.  


1. Agence Heaven #BornSocial 2020
2. Génération Numérique – Enquête 2020-2021 – 6517 jeunes

Sources –Revue AJ Famille Mai 2021- La divulgation par les parents de la vie privée de leurs enfants sur les réseaux sociaux : quel encadrement pour la pratique du Sharenting ?

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