Nous allons faire appel à un juge des tutelles

couple de grands-parents perte d'autonomie avec sac de courses
Difficile de choisir. Une mise sous curatelle, sous tutelle ou une habilitation familiale ?

L’histoire

Dans l’article « Nos filles veulent nous mettre sous tutelle », nous vous avons conté l’histoire d’Emile et de Sylvette, très inquiets, face au conflit les concernant et qui oppose leurs filles. En effet, leur santé dégradée et leur grand âge (82 et 79 ans), les divisent quant à leur prise en charge et leur protection.  Alors, que décider ? Une mise sous curatelle, sous tutelle ou une habilitation familiale ?

De longues discussions animées ont eu pour sujet d’envisager le placement d’Emile et Sylvette en EHPAD et de saisir un juge des tutelles (que l’on appelle maintenant juge des contentieux de la protection) pour les protéger. Face au désaccord qui oppose leurs filles, Emile et Sylvette ont demandé à leur fille aînée, Véronique, de se renseigner sur les mesures de protection pour savoir de quoi il en retourne. Ils sont très peinés par ces disputes incessantes et se disent que tant que leurs têtes répondent encore un peu présent, alors il est préférable qu’ils décident eux-mêmes des options qui se proposent à eux. 

La recherche d’information faite, Emile et Sylvette, convoquent leurs trois filles pour échanger sur les options envisagées.

Regardons cela de plus près avec eux.

Habilitation familiale, curatelle ou tutelle ?

Habilitation familiale  

Cette mesure donne la possibilité à un proche désigné d’accomplir certains actes pour le compte de la personne à protéger, car elle n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté. C’est au juge des tutelles de se prononcer sur cette habilitation. Cette dernière peut être totale ou partielle. Une fois l’habilitation familiale accordée, le juge n’a plus de contrôle. La personne habilitée exercera sa mission à titre gratuit. Cette mission est confiée pour une durée de dix ans. Toutefois, lorsque l’amélioration de l’état de santé de la personne à protéger ne peut pas être envisagée, la mesure peut être renouvelée pour une durée plus longue n’excédant pas 20 ans. Cette décision doit être motivée et prise en fonction de l’avis conforme d’un médecin inscrit au tribunal.

Quelles sont les personnes pouvant être habilitées ?

  • Parent, grand-parent, arrière grand-parent
  • Enfant, petit-enfant, arrière petit-enfant
  • Frère, sœur
  • Époux(se)
  • Partenaire de Pacs
  • Concubin(e)

Quels sont les effets de la mesure ?

L’habilitation familiale peut être générale ou limitée à certains actes.

Habilitation générale

Si l’intérêt de la personne à protéger l’exige, le juge peut décider que l’habilitation soit générale. Cette dernière fera alors l’objet d’une mention sur l’acte de naissance de la personne protégée. La personne en charge de l’habilitation pourra accomplir l’ensemble des actes qui concerne la personne protégée.

Habilitation limitée à un ou plusieurs actes

L’habilitation peut porter sur les actes suivants :

  • Actes d’administration (entretien d’un bien immobilier, suivi d’un compte bancaire,…) ou actes de disposition des biens (vente d’une maison, d’un immeuble,…). Les actes de disposition à titre gratuit (donations) peuvent être accomplis uniquement avec l’autorisation du juge des contentieux de la protection.
  • Actes concernant la personne elle-même (décider d’une opération médicale, décider de se marier,…)

La personne protégée peut continuer à accomplir les actes qui ne sont pas confiés à la personne habilitée.

Quand prend fin la mesure ?

  • Placement de l’intéressé sous sauvegarde de justice, sous curatelle ou sous tutelle
  • Jugement définitif supprimant l’habilitation (mainlevée) prononcé par le juge à la demande de l’un des proches de la personne protégée ou du procureur de la République. C’est le cas lorsque les conditions de l’habilitation ne sont plus réunies ou que l’habilitation familiale porte atteinte aux intérêts de la personne protégée
  • Non-renouvellement de l’habilitation à l’expiration du délai fixé
  • Après l’accomplissement des actes pour lesquels l’habilitation limitée avait été prise

En plus du décès de la personne protégée, l’habilitation familiale prend fin dans les situations suivantes :

Curatelle

C’est une mesure judiciaire qui a pour visée de protéger le majeur et son patrimoine. La personne est conseillée ou accompagnée pour les actes importants de sa vie, comme par exemple l’engagement pour un emprunt ou la vente de ses biens immobiliers. La personne reste autonome pour les actes dits simples de la vie (achats pour le quotidien, décision de se marier…). Le curateur est prioritairement choisi parmi les proches du majeur à protéger (parent, enfant, époux(se),…). Le placement sous curatelle donne lieu à une mention marginale sur l’acte de naissance. 

Il existe pour autant 3 types de curatelle qui peuvent plus ou moins limiter les actes de la personne protégée.

Curatelle simple 

Les actes de vie et de gestion courante, comme la gestion du compte bancaire ou la souscription d’un contrat d’assurance, peuvent être accomplis par la personne protégée. Elle doit être par contre assistée par son curateur pour des actes plus importants tels que les actes de disposition, dans le cas notamment de l’obtention d’un prêt ou de la vente d’un bien immobilier.

Curatelle renforcée 

Dans cette situation, le curateur désigné gère le compte bancaire et les dépenses de la personne protégée et l’assiste pour les actes de disposition.

Curatelle aménagée 

Dans ce cas précis, la curatelle est adaptée aux besoins et capacités de la personne protégée. Avec l’accord du juge, certains actes que la personne peut faire seule sont autorisés et d’autres le sont avec l’assistance du curateur. 

Qui peut faire la demande ?

  • Majeur lui-même
  • Personne avec qui le majeur à protéger vit en couple 
  • Parent ou un allié 
  • Personne qui entretient, avec le majeur, des liens étroits et stables
  • Personne qui exerce déjà une autre mesure de protection juridique (curateur ou tuteur)
  • Procureur de la République, de sa propre initiative 
  • Tiers (médecin, directeur d’établissement de santé, …)

Quels sont les effets de la mesure ?

Concernant les actes de la vie courante, la personne placée sous curatelle conserve la possibilité de prendre les décisions concernant sa personne. Elle peut choisir son lieu de vie, entretenir librement des relations personnelles, voter, demander le renouvellement de ses papiers d’identité, entreprendre des travaux dans son logement…

Certaines prises de décisions familiales, comme la reconnaissance d’un enfant, le mariage ou le PACS sont également possibles pour la personne protégée sans l’accord du juge ou du curateur. Elle doit toutefois informer ce dernier préalablement. Enfin, tous actes de vente ou de testament doivent se faire avec l’assistance du curateur. Ce dernier peut également informer le juge de la mise en place de mesures de protection face à un comportement dangereux que pourrait avoir le majeur.

Quelle est la durée de la mesure ?

Elle est fixée par le juge pour une durée de 5 ans maximum, renouvelable pour 5 ans. Il peut décider de la renouveler pour une durée plus longue, mais n’excédant pas 20 ans selon les mêmes raisons et conditions pour l’habilitation familiale.

Quand prend fin la mesure ?

Elle prend fin à tout moment si le juge déclare qu’elle n’est plus nécessaire, à la demande du majeur protégé ou de toute personne habilitée à demander une mise sous curatelle, après avis médical. Elle peut l’être également à l’issue de la durée fixée ou si une mesure de tutelle est préconisée pour remplacer la curatelle, ou au décès de la personne protégée. 

Tutelle

En raison de l’altération des facultés mentales ou de l’incapacité physique d’exprimer sa volonté, une mesure judiciaire de tutelle peut être prononcée. Cette mesure a pour objet de protéger la personne et/ou toute une partie de son patrimoine. Le tuteur désigné la représente dans les actes de la vie civile.

Qui peut faire la demande ?

  • Personne à protéger
  • Personne qui vit en couple avec la personne à protéger
  • Parent ou allié 
  • Personne entretenant avec le majeur des liens étroits et stables
  • Personne qui exerce (déjà) la mesure de protection juridique (curateur ou tuteur)
  • Procureur de la République 

Quelle est la durée de la tutelle ?

La durée de la mesure est fixée à 5 ans ou 10 ans si l’altération des facultés personnelles de la personne sous tutelle n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration. Le juge peut renouveler la mesure directement dans le cas où un certificat médical produit lors de ce dernier renouvellement a indiqué qu’aucune amélioration de l’état de santé du majeur n’était envisageable. Ce renouvellement de la mesure de tutelle ne peut pas excéder 20 ans.

Cette durée peut être également réduite ou levée, notamment si le juge considère qu’elle n’est plus nécessaire, ou à la demande de la personne protégée ou toute personne habilitée. Le décès de la personne ou un remplacement par une curatelle peuvent également motiver cette levée.

Le décès de la personne sous tutelle engendre l’arrêt de la mission du tuteur, qui devra présenter, dans les trois mois suivant le décès, les comptes de la personne. 

Comment renouveler la mesure de tutelle ?

Avant la fin de la mesure de protection juridique, les personnes qui l’ont demandée peuvent adresser au juge des contentieux de la protection une demande de réexamen de la personne protégée. 

Comment saisir un juge des tutelles ?

Quelle que soit la nature de la demande, habilitation familiale, curatelle ou tutelle, il y a nécessité d’obtenir un certificat médical circonstancié de la personne à protéger. Ce certificat doit être établi par un médecin inscrit sur une liste agréée par le procureur de la république. Cette liste est mise à disposition au greffe du juge des contentieux de la protection du tribunal dont dépend la personne à placer sous protection.

Certificat médical

Sur ce certificat, est décrit le degré de la dégradation (altération) des facultés de la personne et l’évolution prévisible. Sont précisées les conséquences de cette altération et qui entraînent la nécessité éventuelle d’être assisté ou représenté. Le médecin indique également si la personne est en état pour expliquer sa situation. Pour compléter son évaluation, il peut solliciter l’avis du médecin traitant de la personne à protéger. Le certificat est remis ensuite par le médecin, sous pli cacheté, exclusivement au juge des contentieux de la protection ou du procureur de la république.

Faire la demande

La demande se fait par l’intermédiaire d’une requête en vue d’une protection juridique d’un majeur. Elle doit être adressée au juge des contentieux de la protection (anciennement juge des tutelles) du tribunal dont dépend le lieu de résidence du majeur à protéger.

Instruction du dossier

Pour examiner la requête et appuyer sa décision, le juge entend la personne à protéger, les personnes ayant fait la demande, qui peuvent être accompagnées par leurs éventuels avocats. Ces auditions ne sont pas publiques. Le juge, par ailleurs, peut, après avis du médecin ayant établi le certificat médical, décider de ne pas entendre la personne, pour des raisons de santé ou d’incapacité à exprimer une volonté. Enfin, il peut ordonner des mesures pour obtenir un complément d’information, comme une enquête sociale, ou entendre les parents ou proches de la personne à protéger.

Décision du juge 

Habilitation familiale

Avant de prendre sa décision, le juge s’assure que les proches (dont il connaît l’existence au moment où il rend sa décision) sont d’accord avec la mesure ou ne s’y opposent pas. Il prononce alors le choix de la ou des personne(s) habilitée(s) et l’étendue de l’habilitation.

Curatelle et tutelle

Désignation du curateur, désignation du tuteur

Il est choisi en priorité parmi les proches. Dans le cas où cela n’est pas possible, les missions de curatelle ou de tutelle sont confiées à un professionnel, appelé mandataire judiciaire. Ce professionnel est référencé sur une liste dressée par le préfet. Dans le cas d’une curatelle renforcée, un compte-rendu de gestion effectué par le curateur doit être remis, chaque année, au directeur du greffe du tribunal. Il en est de même pour la fonction de tuteur.

Un ou plusieurs curateurs ou tuteurs peuvent être nommés et la curatelle ou la tutelle peuvent être divisées par le juge entre les personnes suivantes :

  • Curateur/tuteur chargé de la protection de la personne (exemple : mariage)
  • Curateur/tuteur chargé de la gestion du patrimoine (exemple : déclaration fiscale, vente de bien immobilier)

Le juge peut également désigner des curateurs ou tuteurs qui exercent en commun l’intégralité des pouvoirs liées à ces fonctions. Dans ce cas, chaque curateur, chaque tuteur apparaissent pour les tiers comme ayant reçu le pouvoir de faire seul tous les actes pour le compte de la personne à protéger (actes de disposition et actes d’administration)

Le juge peut aussi désigner un subrogé curateur, un subrogé tuteur, pour surveiller les actes passés par le curateur ou le tuteur, ou le remplacer en cas de conflit d’intérêts. Lorsque le curateur ou le tuteur est un membre de la famille, le juge choisit, si possible, le subrogé curateur, le subrogé tuteur, dans l’autre branche de celle-ci.

Qui peut faire appel ? 

  • En cas de refus de la mise en place d’une tutelle par le juge, seule la personne qui a déposé la demande de mise sous tutelle peut faire appel. 
  • En cas de refus de mise en place de la curatelle, seule la personne qui a déposé la demande de mise sous curatelle peut contester le jugement. 
  • En cas d’ouverture ou de refus de mettre fin à une curatelle, la personne protégée ou toute personne habilitée à demander sa mise sous curatelle peut faire appel de la décision.
  • Toute personne habilitée à demander la mise sous tutelle (parent, allié etc.) peut faire appel des autres décisions du juge des tutelles.
  • En cas de sauvegarde de justice sur déclaration médicale au procureur de la République, la personne protégée peut faire un recours amiable pour obtenir la radiation de cette sauvegarde. Ce recours doit être adressé au procureur de la République.
  • En cas de sauvegarde de justice sur décision du juge du contentieux et de la protection, aucun recours n’est possible, car la sauvegarde n’entraîne pas en soi de modification des droits de l’intéressé.

L’appel s’exerce dans les 15 jours suivant le jugement ou la date de sa notification pour les personnes à qui il est notifié. L’appel se déroule dans une cour d’appel, mais il doit être formé par déclaration faite ou adressée par lettre recommandée au greffe du tribunal.

Epilogue

Emile et Sylvette se retrouvent bien décontenancés face à ces différentes mesures. Après réflexion, ils pensent que l’habilitation familiale est la mesure la plus adaptée à leur situation. D’autant que Véronique, leur fille aînée, est, de leur point de vue, la personne toute désignée pour endosser cette responsabilité. Elle le fait depuis un long moment déjà ! Mais, c’est sans compter l’opposition forte de ses deux autres sœurs qui ne l’entendent pas de cette oreille ! Alors c’est décidé ! Ils demanderont au juge de désigner un mandataire judiciaire, quitte à être sous curatelle ! Une curatelle simple bien sûr… 

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