Mes grands-parents ont pris la place de mes parents après le départ de mon père

Mes grands-parents ont pris la place de mes parents après le départ de mon père
L’histoire d’une enfant qui peine à trouver sa place entre ses parents et ses grands-parents.

L’histoire

Voici l’histoire de Julie, née en 1995 dans la jolie petite ville de province, Valence. Elle y grandit auprès de ses parents et de son petit frère Noé. Mais un beau matin, alors qu’elle n’a que 6 ans, son père disparaît des radars et ne donne plus aucun signe de vie à son épouse, ses enfants, ses parents. La mère de Julie, étant sans profession et sans ressources, n’a pas d’autre choix que de retourner vivre chez ses propres parents. Elle prend alors la décision étrange, d’emmener seulement Noé et de confier Julie à la garde de ses grands-parents paternels.

Il n’est pas un secret, pour les adultes de la famille, que Noé est le fruit d’une histoire adultère de sa mère. Les parents de Julie sont, de plus, des enfants uniques. L’éclatement de la famille est alors l’occasion, pour les grands-parents maternels et les grands-parents paternels, de « récupérer son héritier ». Julie, étant la seule fille de son père, est l’objet d’une logique implacable : devoir vivre dans le clan paternel.

Julie raconte son histoire ainsi :

« Petite, j’étais très complice avec mon père, je le suivais partout. On me disait, à longueur de temps que je lui ressemblais comme deux gouttes d’eau, surtout mes grands-parents. Alors je ne me suis pas vraiment étonnée qu’ils veuillent me garder avec eux. Ils étaient très peinés d’être sans nouvelles de leur fils unique. Mes grands-parents voulaient que je devienne leur fille en projetant le souhait de m’adopter. J’avais la douloureuse impression de prendre la place d’un autre enfant, enfin … d’être un enfant de substitution. »

« Ma grand-mère me considérait comme sa propre fille. J’ai toujours eu plus de relations avec elle qu’avec ma propre mère que je n’ai jamais véritablement considérée comme ma mère. Elle voulait toujours réparer quelque chose, calmer sa culpabilité en m’offrant des cadeaux, en me donnant de l’argent. Nos rapports ressemblaient plus à des rapports de sœurs, empreints de rivalités. Pour moi, c’est une petite fille ma mère, elle reste la fille de ses parents sans jamais avoir su être mère à son tour. Mais dans tout cela, je ne savais plus quelle était ma place : la fille de qui ? La mère de ma mère ? Quelles places avais-je avec les uns et les autres ? »

Redéfinir la relation

Aujourd’hui, être marié pour la vie n’est plus de mise. L’histoire conjugale qui assurait jusqu’alors l’enchaînement des âges de la vie, de l’âge adulte au statut de personne âgée, est désormais bouleversée. Les couples se forment et parfois se désunissent. L’on retourne vers un état de célibat et ce retour en arrière s’accomplit parfois en présence d’un ou de plusieurs enfants. Se joue dès lors une redéfinition des relations entre générations. Le lien entre le parent seul et son enfant prend un sens différent, une résonance nouvelle. On assiste alors à un face-à-face parent-enfant qui demande de redéfinir la place de chacun. Dans l’histoire de Julie, cette question de place est devenue complexe au regard de la position de sa propre mère et de ses grands-parents, où le parent redevient enfant, le grand-parent prend la place de parent.

Pour la maman de Julie, se retrouver seule, en charge de ses enfants, alors même qu’elle était sans ressources, a été source de désarroi. La dislocation du couple a eu pour effet de mettre la mère de Julie dans l’incapacité d’assumer son rôle de parent, et son désarroi pour conséquence ultime de confier Julie à ses grands-parents paternels. Ainsi, se sont constituées deux familles recomposées. Ce « partage » a bouleversé les positions de chacun dans l’ordre des générations.

En retournant vivre chez ses parents, la mère de Julie a repris sa place de fille. Julie, en intégrant le foyer de ses grands-parents a repris, d’une certaine façon, la place inoccupée de son père absent, la faisant passer de sa position de petite-fille à celle de fille de ses grands-parents. On assiste là, simultanément à un « saut » générationnel inversé, où la mère et la fille se retrouvent à une place identique. La relation filiale entre Julie et sa mère devient, dès lors, difficilement possible et la question des rôles et des statuts, totalement altérée.

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Une confusion des places

Mais qu’en est-il du rôle des grands-parents de Julie, joué dans les circonstances de la séparation de ses parents ?Il existe de nombreux travaux sociologiques qui laissent apparaître l’ambiguïté des rôles entre grands-parents, parents et enfants dans les familles recomposées. Le processus de ces recompositions familiales est propice à la confusion des places entre les membres d’une même famille. Le jeune âge des parents peut être prédominant, en particulier pour les femmes, qui compte tenu de leurs difficultés multifactorielles, font le choix de retourner vivre momentanément chez leurs parents. Pour les grands-parents, vivre et devoir prendre en charge au quotidien leurs petits-enfants, les renvoie à leurs propres expériences de père et de mère. On assiste alors à une véritable collision entre générations, où rôles et places s’entremêlent, où les trois générations que composent une des lignées familiales perdent leur organisation originelle.

Trouver la bonne distance

Ces moments de recompositions familiales restent toutefois, pour la plupart, temporaires et laissent entrevoir la possibilité de retrouver pour chacun sa véritable place. Mais il semble primordial que les adultes trouvent la bonne distance pour garder leur juste place. En d’autres termes que les grands-parents puissent s’effacer quand il le faut, que les parents, malgré leurs multiples difficultés, ne démissionnent pas de leurs responsabilités parentales. Ces conditions sont incontournables pour protéger et favoriser le lien entre le parent et son enfant, pour lui créer les bonnes conditions de son épanouissement.

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Epilogue

Pour Julie, il n’en fut pas de même. En effet, vers l’âge de douze ans, son grand-père s’est éteint, laissant son épouse en incapacité de s’occuper seule de sa petite fille. Julie est donc retournée vivre chez sa mère, qui après s’être reconstruite auprès de ses parents, avait retrouvé le chemin de l’autonomie. Aucune des deux n’a pu reprendre sa véritable place. Etant des étrangères l’une pour l’autre, les tensions furent multiples. Pour la tranquillité de tous, la vie de Julie s’est organisée entre internats successifs et colonies de vacances lui laissant le sentiment d’une vie jalonnée de ruptures, aux couleurs d’abandon et d’exclusion…et de ne jamais trouver sa véritable place…

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