Nos filles veulent nous mettre sous tutelle

Grand-mère inquiète qui regarde son marié grand-père
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Dans cette histoire, la dépendance des parents âgés créée une situation de huis-clos familial, propice au conflit.

L’histoire

Nous sommes Emile et Sylvette, âgés respectivement de 82 ans et de 79 ans. Nous avons trois filles : Sophie, Christine et Véronique. Nous n’avons pas à nous plaindre, elles se sont toujours bien entendues, même si quelques jalousies ou rivalités ont parfois pointés le bout de leur nez. Nous vivons depuis toujours dans un appartement modeste situé dans le quartier de Vaise du 9éme arrondissement de Lyon, où les jours heureux se sont écoulés en famille jusqu’à ce que nos filles quittent le nid et déploient leurs propres ailes. Les retrouvailles joyeuses se sont toujours faites autour d’un repas dominical régulier, et nous étions tous heureux de partager des moments de bonheur en famille. La vie s’est écoulée ainsi, entre joie et partage.

Malheureusement, notre santé s’est dégradée petit à petit. Emile perd un peu la tête et a de plus en plus de difficultés à gérer tous nos papiers. Il faut bien le dire, je n’y connais pas grand-chose et je me suis toujours appuyée sur mon mari pour prendre en charge tout cela. Moi, je suis de plus en plus fatiguée et ai bien du mal à assurer mes tâches quotidiennes, y compris à faire la cuisine, activité qui m’a donné tant de plaisir jusqu’alors. Il faut bien nous l’avouer, nous avons de plus en plus de mal à assurer notre quotidien.

Véronique, notre fille aînée, nous aide beaucoup. Elle s’assure, au jour le jour, de notre bien-être en nous cuisinant de bons petits plats, et a mis en place une aide à domicile qui vient deux heures par semaine. Cela nous soulage énormément. Mais nous voyons bien qu’elle est peu aidée par nos autres filles et que leur relation s’est dégradée sensiblement. L’autre jour, alors que nous partagions un moment en famille, qui se fait rare depuis un long moment, nous avons surpris une conversation entre elles.

Sophie et Christine considèrent que Véronique s’implique trop auprès de nous et lui reprochent de nous maintenir à domicile au lieu de nous placer en EHPAD. Elles ont même soupçonné notre fille Véronique de mal gérer notre argent ! Mais ce qui nous a le plus inquiétés, c’est qu’elles envisagent de saisir un juge des tutelles pour, disent-elles, nous protéger et régler le désaccord qui les oppose. Mais nous protéger de quoi mon Dieu ? Nous ne sommes pas fous ! C’est encore à nous de décider de notre vie ! Auraient-elles le pouvoir de nous faire placer ? Vont-elles se déchirer pour nous, alors que nous avons tant œuvré à leur inculquer bienveillance et respect de l’autre ? Nous craignons d’être un véritable poids pour elles.

Le recours au juge des tutelles

Dans cette histoire, la dépendance des parents âgés crée une situation de huis clos familial, propice au conflit et il s’avère impossible qu’une décision commune puisse voir le jour. Les uns souhaitent le placement dans un établissement adapté, les autres le maintien au domicile. Beaucoup de choses vont se jouer pour les enfants et les parents sur le plan des émotions. Tant que la famille entretient des relations apaisées et que la communication est encore présente, tout va bien !

Mais lorsque les conflits arrivent et qu’un point de non-retour est atteint, il va s’agir de sortir du cercle familial et trouver des solutions satisfaisantes pour tous, dans l’intérêt des parents âgés, qui ont besoin de soutien quotidien. Faire appel à un juge des tutelles peut être une solution pour mesurer ce qui peut être le plus adapté à la situation d’Emile et de Sylvette. Pour autant, le recours à la justice peut faire peur et déclencher de multiples questions, comme les conséquences pour les parents et les enfants de la décision judiciaire. Alors, regardons de plus près ce qu’il en est.

La tutelle est un régime juridique visant à protéger une personne majeure et son patrimoine, lorsqu’elle ne dispose plus des capacités lui permettant de veiller à ses propres intérêts. La tutelle est une mesure judiciaire au sens où seul un juge des tutelles est habilité à la prononcer. Ce dernier est le magistrat compétent pour décider des mesures de protection des majeurs et surveiller leur bonne exécution. Il a une particularité qui le distingue des autres magistrats de la justice civile : il n’a pas pour fonction de trancher des litiges ou de gérer des conflits ; seules des mesures de protection du majeur lui incombent. Il siège au tribunal judiciaire et peut être saisi par le majeur à protéger lui-même, sa famille, son entourage, ses alliés ou le procureur de la République.

Le juge des tutelles décide en toute indépendance de la mesure de protection qui lui semble la plus appropriée. Si vous faites une demande de mise sous tutelle, le juge des tutelles peut décider à la place, d’une mise sous curatelle, et inversement. Il peut également rejeter une demande de protection, si celle-ci ne lui semble pas justifiée. Pour information, il existe trois mesures de protection des majeurs, de la plus légère à la plus lourde : la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle.

La tutelle est la mesure de protection la plus lourde et la plus complète. Elle s’adresse à des personnes qui ont perdu complètement leur autonomie et qui se trouvent en situation de grande vulnérabilité. Cette perte d’autonomie peut résulter d’une perte de facultés physiques ou psychiques. Dans le cadre de la tutelle, la mission du tuteur désigné revêt deux aspects : protéger les biens et prendre soin de la personne. La loi impose au tuteur de maintenir la personne affaiblie informée sur sa situation personnelle et sur l’utilité, le degré d’urgence et les effets des actes envisagés, ainsi que sur les conséquences d’un refus de sa part.

La désignation d’un protecteur, que l’on désigne tuteur, par le juge

Une fois la mesure adéquate choisie, il revient toujours au juge de désigner « un protecteur ». Si la personne à protéger est apte à exprimer ses souhaits, le magistrat les prendra en considération. Durant l’instruction, le juge demande toujours aux proches s’il y a un volontaire pour être nommé tuteur. En cas de conflit familial, le juge peut être tenté de faire appel à quelqu’un d’extérieur, que l’on appelle un mandataire judiciaire, pour mettre en œuvre la mesure. En règle générale, priorité sera donnée à la famille.

Ainsi, si le proche affaibli vit en couple, la tutelle revient de façon privilégiée à la personne qui partage sa vie. Sinon, le juge établit prioritairement son choix parmi les parents, alliés (gendre, belle-fille) ou toute personne résidant avec lui et entretenant des liens étroits et stables. Ce n’est qu’en dernier lieu et pour des raisons objectives, absence de famille, intérêt de la personne protégée, existence d’un conflit familial, qu’un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, qui peut être une personne physique ou une association, sera désigné. Il peut aussi s’agir d’une personne appartenant au service « agréé » d’un établissement de santé ou d’une maison de retraite si la personne est hospitalisée ou réside dans cette structure.

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Une rémunération est-elle prévue ?

Si la mesure d’accompagnement est confiée à un membre de la famille, ce dernier exerce, en principe, sa mission gratuitement. La loi autorise toutefois la justice à lui accorder une indemnité fixée selon l’importance des biens à gérer ou la difficulté de la mission. En revanche, si le magistrat désigne un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, c’est-à-dire un professionnel, une rémunération sera prévue. Dans les deux cas, elle sera mise à la charge du majeur protégé. Néanmoins, si ses finances sont insuffisantes pour couvrir les charges du mandataire, un financement public demeure possible, variable en fonction des ressources de la personne affaiblie.

Epilogue

Faire appel à la justice est très souvent source d’inquiétude et de tourment, encore plus quand il s’agit de saisir un juge des tutelles. Mais qu’Emile et Sylvette se rassurent, la décision d’une mise sous tutelle est extrêmement encadrée. Tout d’abord, la saisine d’un juge des tutelles nécessite un examen de santé préalable par un médecin agréé par le Ministère de la Justice. Ce médecin devra évaluer leur état de santé et niveau d’autonomie. Dans l’expectative d’une mise en place de tutelle, la personne désignée comme tuteur par le juge, pourra décider de maintenir Emile et Sylvette au domicile en conservant les aides déjà établies. Cette décision sera conditionnée, bien entendu, à leur degré d’autonomie et leur niveau de prise en charge du quotidien à leur domicile. Si les conditions sont réunies, gageant de leur sécurité, la vie reprendra son cours dans les repères qui sont les leurs.

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La mise sous tutelle d’Emile et de Sylvette peut être l’opportunité d’apaiser les tensions au sein de la fratrie, de permettre à la famille de se projeter dans un avenir plus serein. Elle est surtout l’occasion de renouer un dialogue enfants-parents, dans la mesure du possible, et d’éviter ainsi, que l’on oublie d’associer Emile et Sylvette aux décisions qui les concernent… et de préserver ainsi, le mieux possible leur dignité.

Sources : justice.fr/Dossier tutelle-2022

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