Que peut-il se jouer dans une séparation ?

maman assise entourant son enfant dans ses bras
Que peut-il se jouer pour Lucie et Julien sur le plan émotionnel lors de leur séparation

L’histoire

Dans l’article « Garde alternée : que disent les juges ? », nous vous avons conté l’histoire de Lucie et de Julien, qui rappelez-vous, se sont rencontrés dans la cage d’escalier de leur immeuble. Ces rencontres répétées, ont fini de les convaincre qu’ils se plaisaient vraiment. Ils ont alors pris la décision d’aménager ensemble et de fonder un doux petit nid à deux, qui s’est agrandi, trois ans plus tard, avec l’arrivée de leur petite fille, Zoé. Mais au bout de cinq années de vie commune, le couple ne s’entend plus et la décision de la séparation est prise. Zoé n’a alors que deux ans. Commence dès lors, une bataille pour la garde de Zoé. Julien souhaite une garde alternée et Julie la résidence principale de sa fille, car elle considère que Julien est incapable de s’en occuper.

Au moment de la séparation, Lucie est infirmière dans une clinique privée. Elle a d’ailleurs, depuis son adolescence, toujours travaillé pour aider sa mère qui l’élevait seule après que son père soit parti avec une femme plus jeune. Julien est, quant à lui, dans une situation plus précaire. Il vit depuis toujours de boulots divers, concrétisés par des CDD de courte durée à répétition. Etant musicien amateur, son projet est de trouver un contrat pour produire son premier album. Pour Lucie, Julien a toujours profité d’elle, ses belles paroles cachent avant tout le fait qu’il est fainéant. Elle considère que ce n’était pas un, mais deux enfants qu’elle avait à la maison, car elle devait tout gérer.

Julien s’en défend et a toujours mis en avant que la musique demande du temps et des conditions propices à la création. Pour lui, Lucie était constamment critique, d’une dureté sans bornes, voire castratrice, toujours « collée aux basques » de sa mère. En effet, Lucie a toujours été très proche de sa mère et continue à entretenir au quotidien le contact avec elle. Julien s’en est toujours plaint, décrivant une belle-mère froide et omniprésente dans la vie du couple. Il faut dire qu’elle n’a jamais refait sa vie depuis le départ du père de Lucie ! Pour lui, issu d’une famille nombreuse de six enfants qui devaient faire leur preuve face à un père autoritaire et exigeant, cette omniprésence est insupportable, et la froideur et rigidité de Julie invivables.

Alors regardons d’un peu plus près ce qui s’est joué pour chacun d’eux. Regardons ce qui précisément les a orientés inévitablement vers une séparation et pourquoi Zoé en est devenue l’enjeu !

Répétition générationnelle et opposition au modèle familial

Dans notre société contemporaine occidentale, être en couple est majoritairement perçu comme étant notre principal espace psychique de satisfaction. La vie à deux, placée sous le signe de l’amour, nous offre la possibilité de réaliser son ou ses projets de vie. La psychanalyse nous éclaire pour autant sur le fait que le choix d’un ou d’une conjointe n’est pas pleinement conscient. C’est, en quelque sorte, une collusion inconsciente où la personne choisie donne à chacun le sentiment d’un plein accomplissement. Mais quand l’espoir d’être heureux à deux disparaît, que l’insatisfaction et la frustration deviennent plus importantes que les bienfaits d’être en couple, se profile alors la rupture. Dans l’histoire conjugale de Lucie et de Julien, il semble que nous soyons témoins d’une forme de répétition générationnelle pour Lucie et une opposition forte pour Julien au modèle familial dont il est issu.

Répétition générationnelle pour Lucie

En effet, pour Lucie, cette forme de répétition générationnelle apparaît comme s’être imposée à son insu. Sa mère est restée célibataire après le départ de son père, démontrant que pour elle l’amour est inutile et voué à l’échec, que seuls les enfants peuvent compenser ce manque. Lucie a fait le choix d’un compagnon correspondant en tout point à l’image négative des hommes transmise par sa mère. De cette manière, elle a pu confirmer tout le discours maternel. Construire une histoire d’amour équilibrée et sous le signe de l’égalité aurait eu pour signification de ne plus être solidaire de sa mère. Avec l’omniprésence de cette dernière, proche de l’emprise (appels téléphoniques quotidiens, visites hebdomadaires systématiques), l’idée transmise que les hommes ne sont pas fiables, qu’ils sont lâches et ne prennent pas leurs responsabilités, Lucie a répété le schéma maternel.

Elle s’est construite avec la valeur du sacrifice et a alimenté, à l’égard de sa mère, une culpabilité inconsciente devant tant d’efforts et de courage pour assumer son rôle de chef de famille. Elle lui en est à jamais redevable. A contrario, l’image du père n’est qu’absence et légèreté, une paternité jamais assumée. Pour Lucie, par loyauté pour sa mère, ce qui compte, c’est le travail avant toute forme de détente et de loisir ! Par ailleurs, Lucie n’a demandé aucune compensation financière à Julien lors de leur séparation, ce qui démontre sa volonté de ne dépendre de personne, comme la capacité de sa mère à supporter seule les charges du foyer.

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Opposition au modèle familial pour Julien

Pour Julien, on assiste à une opposition au modèle familial qui lui a été proposé. A l’inverse
de Lucie, son père était présent durablement, dans son rôle de chef de famille « à
l’ancienne », imposant son dictat à l’ensemble de la famille. Sa mère était quelque peu
écrasée par ce mari autoritaire et Julien en a souffert terriblement. De même, la dureté de
son père lui paraissait régulièrement injuste. La musique lui a permis de s’évader et d’éviter
de s’identifier à cette figure paternelle. Il était important pour Julien de se différencier
radicalement de son père.

Avec Lucie, sa position d’homme rabaissé dépendant d’elle pour
partie financièrement, l’a conforté dans son opposition à la figure paternelle par personne
interposée. Par ailleurs, il est facile d’imaginer que Julien ait pu laisser symboliquement la
place du chef de famille à Lucie en réparation maternelle. La rupture avec Lucie a déclenché
également une rupture de lien avec ses parents. Il faut dire que Lucie était très bien
acceptée dans sa belle-famille, car elle portait en elle toutes les valeurs auxquelles ils
étaient fortement attachés, espérant que cela permettrait à Julien d’être « dans le droit
chemin ». La séparation du couple a annulé tout espoir !

Zoé : enfant utilisé comme objet symbolique

La question du mode de garde de Zoé met Lucie et Julien dans une impasse très conflictuelle. Ils ne voient pas, l’un et l’autre, que ce sont principalement des difficultés personnelles d’émancipation face aux schémas familiaux transmis qui sont l’origine de leur conflit. Zoé devient, bien malgré elle, l’objet symbolique de cette situation. Lucie et Julien doivent revisiter leurs chemins personnels pour protéger Zoé.

Julien doit gagner en maturité et comprendre que de s’assumer professionnellement sans fuir la réalité, n’est pas forcément synonyme de reproduction du modèle paternel. Quant à Lucie, tout son travail est de sortir de l’enfermement dans lequel l’emprise maternelle l’a mise. Le symptôme de cet enfermement et la charge s’y afférant se trouvent concentrés autour de la garde de Zoé qui se retrouve symboliquement prise en otage. Il s’agit pour Lucie d’accepter que Julien puisse assumer progressivement son rôle de père. Cela signifie pour elle de démarrer un travail de séparation avec sa maman, en quelque sorte « couper le cordon », pour lui permettre de se révéler pleinement individuellement.

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Ainsi, gageons que la petite Zoé, pourra se construire et s’épanouir en toute quiétude, sans
reproduire les aspects néfastes de son héritage familial.

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